Introduction à l’Assemblée Générale du PCF Université Paris-Saclay, lundi 23 juin 2025

Introduction à l’Assemblée Générale du PCF Université Paris-Saclay, lundi 23 juin 2025

Le 23 décembre 2024, Philippe Baptiste a été nommé ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) et a présenté sa feuille de route le 30 janvier 2025. Sans reprendre l’intégralité de son discours, je voudrais citer les principaux sujets qui tournent tous autour de ce qu’on appelle l’Acte 2 de l’autonomie des Universités.

D’abord, les budgets. Malgré un budget toujours plus raboté puisque 1,1 milliard d’euros ont été annulés en 2024 pour l’ESR, 1,5 milliards pour 2025 et on parle d’autant pour 2026 parmi les 40 milliards d’euros d’économies que cherche le Premier ministre Bayrou. Le ministre, comme les précédents, va chercher à travailler sur le fonds de roulement des établissements qui seraient à utiliser vite et au mieux mais on peut se demander si ce n’est pas au contraire des fonds réduits et toujours en tension contrairement à ce qui est dit.

Par ailleurs, l’Acte 2 de l’autonomie des Universités voulu par le Président Macron est en test dans 9 établissements pilotes pendant 18 mois, test qui doit aboutir au second semestre 2025. Le Président avait parlé de « gouvernance réformée », de « contrats pluriannuels », de « différenciation assumée » mais aussi des statuts des personnels « devenus des éléments de complexité » dans son discours sur l’avenir de la recherche le 7 décembre 2024.

Si j’analyse brièvement ces éléments cela veut dire qu’il y aura donc moins de budgets sanctuarisés pour les Universités qui devront continuer à aller en chercher elles-mêmes par des contrats que ce soit via la taxe d’apprentissage, via des frais d’inscriptions plus élevés ou encore des contrats avec des organismes privés sur certains sujets en négligeant d’autres. Par ailleurs, les demandes autour de la gouvernance et des statuts vont achever d’autonomiser en privatisant les Universités. Cela aura pour conséquence de les mettre nécessairement en compétition entre elles pour attirer les meilleurs étudiants et personnels, une fois que les statuts auront été dérégulés. Par exemple les salaires et rétributions dont les subventions pour des projets seront à la discrétion des Présidents ou chefs de composantes.

Il me semble que cette question dite « d’autonomie » est un des points les plus graves et que les éléments qui vont suivre sont représentatifs du soutien à cette politique.

Lors de sa même déclaration sur l’avenir de la recherche, le Président Macron avait souhaité transformer les organismes nationaux de recherche en agences de programme. Ensuite, le ministre Philippe Baptiste lors de la présentation de sa feuille de route avait soutenu les agences de programme car elles doivent soutenir des priorités dites stratégiques. Cette création, issue du rapport de Philippe Gillet, et soutenue par la ministre de l’ESR de l’époque Madame Retailleau, a été imposée sans dialogue avec la communauté, notamment au sein du ministère, qui aujourd’hui a bien du mal à trouver une utilité à ces nouveaux objets alors que l’on ne cesse de parler de simplification.

Alors comment simplifie-t-on dans ce cas ? Il suffit de charger les agences de programme de construire et financer des programmes de recherche jugés prioritaires sans passer par des appels à projets, avec de préférence le moins d’indicateurs possibles. Il semble évident qu’il n’y aura pas de contrôle sur les orientations qui seront purement guidées par le temps politique et pas le temps de la recherche, ni sur les résultats qui pourraient indiquer si un choix aura été bon ou non. Pensons au quantique puis à l’IA qui ont pris toute la place médiatique actuellement au détriment de beaucoup d’autres sujets.

Simplifier, ce serait donc concentrer des moyens sur quelques sujets. Cela fait penser au tollé provoqué au CNRS lors de l’annonce de la création des « Key Labs » il y a plusieurs mois et sur lequel le ministre a annoncé un moratoire. L’enjeu était de sélectionner un quart des laboratoires les plus performants pour les doter plus au détriment de tous les autres ce qui conduirait à leur disparition. Et la suite ? Allait-on reprendre le quart des laboratoires restant pour leur appliquer la même chose, etc. ? Tout cela aurait permis de vider le CNRS de ses laboratoires et de ses budgets à un moment où les organismes publics sont montrés du doigt et où le gouvernement via sa ministre chargée des comptes publics Amélie de Montchalin souhaite les réduire d’un tiers en les supprimant ou en les fusionnant. Mais pour quelle raison ? Un pur dogme libéral de destruction des services publics qui pourtant ne peuvent être que plus rentables qu’un organisme privé dont le moteur est le profit.

Certes, nous pouvons toujours trouver dans nos composantes et services des dysfonctionnements et des améliorations à y apporter. Mais pourquoi ne pas poser la question aux personnels ? Réhabiliter des conseils de laboratoires, d’écoles, de composantes, d’unités, afin qu’ils aient des marges de manœuvre pour améliorer leur fonctionnement plutôt que d’être des caisses d’enregistrement de décisions supérieures ?

Et sinon comment faire pour améliorer la recherche dans le pays ? Réponse du ministre : la collaboration de la recherche publique et privée. Sans remettre en question les compétences de certains personnels de la R&D privée, la question des orientations mais aussi de l’intégrité des travaux se pose : on parlait autrefois du tabac, aujourd’hui des pesticides, quel crédit et soutien apporter à des recherches qui peuvent être orientées à des fins commerciales oubliant la santé et l’intérêt général ? Pourtant, après des années passées à dépenser des milliards en Crédit d’Impôt Recherche et à subventionner des grands groupes pour leur R&D, les exemples ne manquent pas d’une recherche privée dont les subventions sans contrepartie ne sont pas efficaces : pensons à Sanofi qui en quelques années a réduit drastiquement son personnel de R&D en France malgré les budgets nationaux captés.

Sur les formations, on nous répète depuis une dizaine d’années la question du continuum bac -3 / bac +3. Le ministre se félicite de la réussite de l’apprentissage dans le supérieur et appelle à ce que les formations accentuent leur virage de l’insertion dans l’emploi, en particulier les licences professionnelles, les BTS et les BUT en articulation avec les territoires. On ne peut s’empêcher de penser qu’il s’agit là de créer une main d’œuvre bien formée mais pas trop, répondant aux enjeux court-termistes de l’emploi. Cela va à l’encontre de penser qu’il est préférable qu’une formation académique fournisse des outils qui permettront aux étudiantes et aux étudiants de s’adapter tout au long de leur vie à l’évolution des métiers. Cela va à l’encontre de la volonté de former à penser le monde et pas à agir en entreprise. C’est aussi une volonté de limiter le rôle des établissements : certains, régionaux, seront cantonnés au Bac +3, encore une fois, pour fournir de la main d’œuvre qualifiée juste assez mais pas trop, et il ne restera que quelques grandes universités sponsorisées par l’État avec pour seul objectif une bonne place dans le classement de Shanghai. Tous ces établissements, qu’ils soient régionaux ou nationaux, étant en concurrence entre eux.

Pourtant il y a encore du travail à faire pour rendre de la dignité aux étudiantes et aux étudiants : que ce soit sur les bourses, les logements ou encore les admissions et les places disponibles via Parcoursup qui est décrié pour organiser un tri social systématique et renforcer les inégalités territoriales et sociales. Il reste un effort à faire pour un statut du doctorat afin de favoriser sa reconnaissance comme diplôme Bac +8 dans la sphère économique et protéger les compétences des docteurs dans un monde qui en a plus que besoin.

Tous les éléments que j’ai cités constituent une forme de continuité vis-à-vis des événements survenus il y a maintenant environ 20 ans : pacte pour la recherche avec main mise de l’ANR sur l’essentiel des budgets qui soutiendront la recherche via des appels à projets chronophages et aux taux de succès désespérants, refonte des établissements et de leurs statuts en promettant des budgets via les programmes d’investissement d’avenir, les PIA dont seront issues les COMUE par exemple Paris-Saclay, précarisation des fonctionnaires notamment dans l’ESR où de plus en plus de contractuels sont embauchés au détriment de postes statutaires pourtant garants d’une continuité de l’action. Tout cela en concomitance avec le traité européen de Lisbonne qui évoque l’économie de la connaissance et instille cette gouvernance par la concurrence. Et ces décisions politiques d’il y a 20 ans, je l’ai souvent entendu, ont contribué à dégrader la qualité de l’enseignement supérieur et de la recherche, quand bien même de grands et beaux nouveaux bâtiments sont venus atténuer la peine des jeunes qui viennent se former et des personnels qui viennent y rechercher le sens perdu de leur travail.

On pourrait se dire que toutes ces transformations sont loin de nous, incompréhensibles (même si j’ai voulu expliciter quelques unes de leurs conséquences) et que l’impact est faible. Mais l’actualité nous donne un regard à l’extrême de ce que peut devenir un système du fait du prince où les statuts ne sont plus protecteurs et où le politique devient le seul stratège en fonction de ses lubies : les États-Unis ces derniers mois nous donnent ainsi un triste exemple.

Sans statut clairement protecteur, l’employeur ou un politique bien placé peut mettre fin aux contrats facilement, et licencier comme cela a été le cas pour un grand nombre de directeurs et d’employés d’instituts scientifiques aux États-Unis. Je pense à l’agence de santé NIH National Institute of Health qui finance 90 % de la recherche dans le domaine de la santé et dont un certain nombre de laboratoires ont fermé, ou encore à l’agence spatiale américaine la NASA ou la NSF National Science Foundation où également près de 50 % des programmes scientifiques risquent de disparaître. Des universités américaines ont décidé de ne pas recruter de doctorants cette année car elles n’en auront pas les moyens ; cela ampute clairement l’avenir de la recherche. La même menace pèse sur certains établissements français actuellement.

Tout ceci vient d’un changement politique et sémantique : on rejette dorénavant les travaux des sciences du climat, du changement climatique, de la pollution, des gaz à effet de serre, etc. sous couvert d’un scepticisme mais qui au passage fait bien les affaires des principaux pollueurs de l’empire américain qu’ils soient des grands de l’industrie gazière ou pétrochimique ou encore du monde des technologies numériques. L’interdiction est faite aux scientifiques des agences fédérales de participer aux travaux du GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat) tout en censurant les informations liées aux connaissances sur le changement climatique. Et les licenciements de scientifiques ralentissement les opérations par exemple dans le champ de la météo ce qui affecte les prévisions.

Je ne cite pas tous les domaines à risque, je souhaite insister sur le fait que lorsqu’un pays démocratique tourne le dos aux libertés académiques, cela doit être une source d’inquiétude majeure et nous devons aussi regarder ce qui se passe chez nous pour voir que sans pour autant atteindre une telle rupture, nous sommes sur une pente douce qui y mène. Pourquoi ?

Et la communauté de l’ESR s’est bien mobilisée ces derniers temps avec le mouvement « Stand Up For Science » et même les politiques s’y sont mis avec les plans « Choose France for Science » ou encore « Choose Europe for Science ». Car le risque qui a bien été identifié est celui de la perte de la liberté académique qui comprend la liberté de recherche, la liberté pédagogique, la liberté de publication et d’expression dans le cadre académique. Cette liberté académique est essentielle au fonctionnement démocratique d’une société et devrait être défendue par tout établissement d’Enseignement Supérieur et de Recherche et ses personnels.

Et je pense qu’à l’heure actuelle, ce dont nous avons cruellement besoin c’est d’éducation, une éducation pour faire société, ensemble, et pour une société qui avance face aux défis de l’avenir sombre qui nous est promis.

Pendant ce temps, en France, alors que nous ne dépensons encore que 2,2 % de notre PIB à l’ESR au lieu des 3 % préconisés depuis des années, l’État envisage de consacrer 5 % de son PIB à la défense, ce qui nous projettera dans une course aux armements et nous privera en contrepartie des services publics qui sont essentiels en période de crise. C’est pour cela que j’affirme : faire la guerre et mourir ou bien se former et travailler, la réaction politique de notre communauté scientifique doit être à la hauteur du moment orwellien qui se joue aussi en France.

Quel est donc notre avenir dans l’ESR ? En lien avec les déclarations du ministre et du président que je rappelais initialement, c’est donc l’Acte 2 de l’autonomie des Universités qui va se concrétiser. Comment ? En continuant de mettre en place dans tous les établissements des Contrats d’Objectifs, de Moyens et de Performances (COMP), outils permettant à l’État de conditionner les subventions des établissements à l’atteinte d’objectifs chiffrés. Cette démarche risque de réduire encore le peu de distance au modèle des États-Unis encore existant et qui fait la force du service public de l’ESR :

  • en transformant les organismes de recherche en agences de moyens (c’est notamment l’idée derrière les agences de programme) avec des fléchages répondant donc au besoin d’affichage et aux choix du politique et la possibilité de coupes drastiques et brutales,
  • en soumettant les établissements à des indicateurs quantitatifs et arbitraires (calculés hors sol par l’administration ministérielle, les rectorats ou des agences donc sans élaboration démocratique avec les personnels),
  • en promettant une dotation à 100 % toujours plus austéritaire incluant la masse salariale (donc des rémunérations compressibles et variables coïncidant avec un démantèlement des statuts).

Ainsi, en théorie, un établissement n’atteignant pas les taux de réussite et d’insertion, et pourquoi pas une certaine quantité de publications, fixés par le gouvernement, ne serait plus en mesure de payer ses personnels et voir certaines de ses composantes fermées car pas en phase avec les besoins du politique. Toute cette austérité serait orchestrée sans humain, simplement calculée par les outils administratifs comme InserSup, Fresq et Quadrant : quelle que soit la raison d’un objectif non atteint, le solde ne sera pas versé ! Comme souvent en bureaucratie (et même ici en technocratie), on masque une question politique derrière un outil technique. L’autonomie n’est plus que le choix d’atteindre les objectifs hors sol fixés par l’État, avec le risque que l’atteinte à tout prix pour sauver ses budgets dérive en une dépréciation des contenus des formations et des recherches menées.

Pour conclure, l’océan atlantique ne nous protège pas des attaques d’une droite et extrême droite françaises et européennes inspirées par leurs homologues américains. Il nous faut réagir et se mobiliser pour dire quelle Université nous souhaitons, quelles institutions indépendantes des pouvoirs nous souhaitons et quelle société nous désirons. Notre assemblée générale aujourd’hui sous ce format particulier entre communistes et sympathisants doit nous permettre d’échanger, d’écouter, de débattre des options et actions à porter ici sur le campus emblématique de l’Université Paris-Saclay et de le faire savoir pour que toute la communauté s’en saisisse et, au vu des enjeux qui dépassent nos établissements, faire tâche d’huile dans la population pour alerter et viser un changement de cap pour plus d’intelligence mais moins appareillée, et dans un monde en paix.

Merci pour votre attention.

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